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Colonel Kinley

mercredi 31 juillet 2024 , par Henri

François-Jacques Kresser-Desportes alias "Kinley" dit « Le Barbu » Responsable de la Région M3

LE MAQUIS DE LOIRE-INFÉRIEURE - 1944 (D’après les document recueillis par le Lieutenant Colonel Kinley)
Au début du mois de mars 1944 on pouvait voir circuler, de Nantes et d’Angers, un BARBU énigmatique que l’on disait artiste peintre et pêcheur à la ligne.
Personne, en vérité, ne portait trop d’attention à ce personnage, si ce n’est qu’à sa manie de pêcher à la ligne attirait de la part de tous les gens qui l’approchaient forces plaisanteries, en particulier sur le fait qu’il ne prenait jamais rien, ou pas grand chose.
Pourtant, lorsqu’il arrivait dans une ville, c’était nanti de l’attirail le plus complet et le plus perfectionné que l’on pouvait trouver à l’époque.
Dans tous les déplacements qu’il disait faire pour le compte d’un décorateur, il emportait toujours avec un invraisemblable bric à broc de cannes à pêche, de moulinets, de musettes. d’où émergeaient les manches des épuisettes ou des gaffes dont les poches étaient bourrées d’une multitude de boites, de bobines et de quantité de récipients variés rendant un bruit de quincaillerie.
Le fait qu’il fût artiste inclinait les gens qui le rencontraient à une douce indulgence envers ce promeneur original.

Dans la région de Nantes - Saint-Nazaire, certains membres de la résistance ne tardèrent pas à apprendre que cet innocent pêcheur à la ligne n’était autre que le second du chef régional qui commandait les forces armées du « maquis » des départements de la Loire-Inférieure, du Maine-et-Loire et de la Vendée.
Ceci expliquait, pour les initiés, les déplacements fréquents que les deux hommes effectuaient en commun, le chef régional se faisant passer à ces moments-là pour décorateur.

Le COLONEL MEUNIER (c’était là un des noms du pseudo-décorateur) n’avait pas à remplir une mince tâche si l’on sait que la Gestapo avait redoublé d’activité pendant les mois de janvier et février, et avait réussi à décapiter presque tous les mouvements de résistance locaux en arrêtant leurs principaux chefs.
Le travail qui consistait à reprendre les contacts coupés avec ce qui restait des anciennes organisations, était un travail dangereux, accompli dans le noir absolu en raison de la méfiance même de ceux qui venaient de voir leurs chefs tous arrêtés successivement en quelques semaines. Le COLONEL MEUNIER s’y donnait tout entier aidé de son second. le COMMANDANT KINLEY que l’on surnommait « le BARBU ».

Les tâches étaient réparties entre les deux hommes ; le colonel se rendait plusieurs fois par semaine à Paris pour prendre les ordres et les directives du D. M. R. FANTASSIN, le commandant se déplaçait plutôt à l’intérieure de la région et préparait la formation d’unités de combat homogènes sur la stricte organisation militaire.
Les rendez-vous importants pris par l’un des deux avec les résistants de l’endroit étaient doublés, de façon que ceux-ci connussent les deux hommes ; ainsi, en cas de malheur survenant à l’un d’eux. on éviterait de rompre encore une fois un contact repris avec tant de difficultés.

Déjà des bataillons se formaient et des états-majors F.F.I. se constituaient. Le COMMANDANT KINLEY s’était mis en rapports avec eux et avait préparé des rencontres avec le colonel qui allait bientôt cesser ses voyages à Paris pour. ne plus travailler sur place.
Certaines prises de contact étaient burlesques à force d’être dramatiques témoin celle-ci où, après un entretien en pleine nature entre le commandant et un des chefs locaux, ce dernier s’écria :

« Vous savez que je méfiais de vous au premier abord, si j’avais pris mes précautions... Vous voyez cette petite grange, à une centaine de mètres de vous ?... Eh bien ! J’ai six hommes à moi, armés jusqu’aux dents, prêts à accourir au moindre geste de votre part ! »
Ce à quoi le commandant répondit :
« Vous voyez la haie derrière vous ?... Eh bien ! J’ai six hommes à moi qui attendent mon signal et... ils sont aussi armés jusqu’aux dents !
On peut trembler à l’idée de ce qui aurait pu se passer si un des chefs avait eu la tête trop chaude ou les nerfs à fleur de peau !

C’est cette vie constamment à l’affût de la trahison toujours possible, et le jeu dangereux que les hommes du maquis jouaient à longueur de journée qui font la beauté du geste que ceux-ci accomplissaient en combattant sur le sol conquis, contre un ennemi décidé à tout pour se débarrasser des patriotes.
En vain la propagande ennemie rabâchait-elle les expressions de hors-la-loi, de terroristes, de bandits, et combien d’autres ; ces hommes, ces officiers de l’armée de l’intérieur, continuaient imperturbablement leur mission ingrate et obscure pour préparer l’événement du jour de la délivrance.

Et, chaque jour une unité de plus venait se joindre au noyau F.F.I.
Les bataillons se constituaient les uns après les autres les cadres qualifiés manquaient peut-être, mais les bonnes volontés et le courage dans l’action compensaient cette pénurie.
Puis des chefs, des vrais se révélaient.
Certains, que la vie militaire n’avait pas eu le temps en 1939-1940 de faire découvrir, devenaient, devant la nécessité, des officiers qu’aucun général n’aurait désavoués.
Les petits groupes isolés étaient réunis en unités plus importantes qui revêtaient au bout de quelques de quelques temps d’accoutumance l’allure de véritables formations militaires.

Les P.C. étaient installés et les parachutages d’armes, quoique restreints, se faisaient régulièrement.
Les services de renseignements fonctionnaient intensément et des travaux d’une importance inestimable étaient menés à bien : parmi les plus importants, le relevé de tous les plans de Saint-Nazaire était presque terminé.
Trois ans d’efforts incessants et de multiples sacrifices avaient permis de poursuivre cette gigantesque et fructueuse tâche.

Le 1er juin, le COLONEL MEUNIER était arrêté au cours de son dernier voyage à Paris, à un rendez-vous où deux autres membres de la RESISTANCE trouvaient le même sort et où FANTASSIN, une de nos plus belle figures de patriote, se faisait tuer à coups de mitraillette en essayant de s’enfuir.
Les contacts sont une nouvelle fois coupés et au moment où l’action approche.
Le COMMANDANT KINLEY, qui vient de perdre son chef et son meilleur camarade, arrive, grâce à un jeune parachutiste à reprendre le fil et rencontrer le 15 juin deux envoyés du GENERAL KOENIG.

L’ordre de bataille est établi.
Les maquis se regroupent.
L’effectif de la région M 3 (Maine-et-Loire, Loire-Inférieure, et Vendée) est à ce moment le suivant : 12440 hommes, approximativement celui d’une division.
Le commandement de ces troupes est confié au COMMANDANT KINLEY qui vient d’être nommé colonel par télégramme du GENERAL KOENIG.
L’effort du COLONEL KINLEY se porte surtout sur le département de la Loire-Inférieure parce que celui-ci devra supporter la plus grosse part de l’action en raison de sa position géographique.

Les effectifs de la Résistance active dans ce département s’élèvent à 4940 hommes, se décomposant comme il suit [1] :

  • 1er bataillon COMMANDANT COCHE : 600 hommes (Saint-Mars-la-Jaille, Ancenis, Varades, Oudon, Riaillé) ;
  • 2ème bataillon COMMANDANT GRANOUX : 300 hommes (Nort-sur-Erdre, Ligné-les Touches) ; 3ème bataillon CAPITAINE MAILLARD : 300 hommes (Pontchâteau) ;
  • 4ème bataillon CAPITAINE TROUE : 400 hommes (Clissons)
  • 5ème bataillon CAPITAINE ALAIN : 400 hommes (Nantes)
  • 6ème bataillon COMMANDANT BOURSE : 500 hommes (périphérie de Nantes) ; 200 hommes, camp de la Gacherie, La-Chapelle-sur-Erdre ;
    • DE TOUCAT : 100hommes (Guémené-Penfao) ;
    • GIRAUD : 100 hommes (Main et environ) ;
    • HENRI 1500 hommes (Guérande, Herbignac, La Baule) Compagnie de Châteaubriant : 240 hommes (Châteaubriant)
  • CORPS FRANC : 100 Châteaubriant (Châteaubriant) ;
  • JEAN BART 250 hommes (Fay-de-Bretagne) 50 hommes (Nozay)

Total : 4940 hommes

Toutes ces troupes se préparent et obéissent à leurs chefs. Leur seul désir est de bientôt pouvoir « barouder ››.
Malheureusement elles sont mal armées.

Le 26 Juin le COLONEL KINLEY, accompagné de son second, le COMMANDANT XAVIER DICK se rend en mission au camp de Saffré.
La direction de la moto qu’il conduit lui-même ayant été sciée, il fait une chute et se blesse très grièvement.
Le commandant, qui n’a aucun mal heureusement, organise sa fuite vers un refuge car l’ennemi guette. Il faut faire vite et passer inaperçu. En effet, les précieux plans de Saint-Nazaire enfin terminés sont dans la poche du colonel.

Le 27 juin, au petit jour, le camp de Saffré est attaqué par les Allemands. Prévenu, le COLONEL KINLEY, qui se fait soigner dans son P.C. secret, se rend. au P.C. de la Meilleraye, à coté du camp. Mais les tentatives faites pour s’en approcher sont vaines et les plans, qui devaient être remis aux envoyés de Londres qui se trouvent au camp, ne le seront pas encore ce jour-là.
Les Allemands qui ont entendus dire que le « BARBU » circulait la tête entourée de bandage et la figure en bouillie, font des recherches partout où le blessé a pu se cacher.
La Gestapo est particulièrement active, la poursuite s’organise.
L’étau se resserre.
Mais il existe de bons Français qui cachent et hébergent le COLONEL KINLEY.
Celui-ci continue de recevoir son second, il a des entrevues fréquentes avec D.M.R. BERNARD.

Vers le 15 juillet, un pigeon reçu par parachute va emporter vers Londres les fameux plans de Saint-Nazaire que le COLONEL KINLEY a toujours en sa possession.
Toutes les modifications qui se produisent sont d’ailleurs indiquées chaque jour et les plans sont « up to date »
Le 21 juillet, le COMMANDANT XAVIER DICK, le LIEUTENANT MEURY et sa femme sont arrêtés à l’ancien P.C. du COLONEL KINLEY.
Ils sont intentés à la prison Lafayette à Nantes.

Le 3 août, on vient, dans sa cellule, montrer au LIEUTENANT MEURY, une photographie du COLONEL KINLEY

  • Connaissez-vous cet homme ?
  • Non !
  • Et bien, c’est KINLEY, votre chef ! L’Artiste peintre ! Venez, nous allons vous confronter.
    On amène le LIEUTENANT MEURY à travers les couloirs jusqu’à une cellule dont on ouvre brusquement la porte qui 1aisse voir, sur un plan incliné, le cadavre du « BARBU » tué de trois balles dans la tête.
    Le LIEUTENANT MEURY, laissé, seul avec le cadavre, sent monter en lui des larmes sincères pour celui qu’il n’a pas hébergé pendant un mois sans que naquit entre les deux hommes une solide amitié. Est-ce bien lui ? mais oui, tout y est : la barbe, les cheveux longs, les cicatrices sur le visage. Pauvre cher KINLEY.

Le commissaire de police vient constater le décès et établir les pièces administratives.
Mais quelques jours plus tard, les Allemands entendent encore parler de KINLEY le « BARBU » circule, on l’a vu.
Et, c’est vrai, le COLONEL KINLEY est toujours là. Une incroyable ressemblance, jusque dans les détails a fait prendre le cadavre du résistant Max WEPLER pour celui du « BARBU ». WEPLER, après s’être dévoué pour la cause de la résistance, a payé de sa vie cette admirable mission, et, sans le savoir, a joué en mourant un bon tour à l’ennemi. Grâce à lui, le COLONEL KINLEY pourra faire passer les plans de Saint-Nazaire aux Américains, et ceux-ci, en voyant arriver ces calques au cachet de la région M 3 portant la panthère noir, insigne du Colonel, et les hermines de Bretagne, enverront une lettre de remerciement aux F.F.I. ; lettre ou ils disent leur admiration pour le travail accompli. Maintenant c’est la prise de Nantes, le front de la Loire, la ruée vers Paris et l’Alsace....

Au nord et à l’est du secteur nantais, les petits postes de guet du maquis sont alertés. Depuis quelques jours. les convois allemands se font plus nombreux. Sur les routes des véhicules de toutes sortes remplis d’uniformes feldgraü circulent dans tous les sens. Des barrages de fortune sont dressés à des endroits bien choisis.
Avec des engins quelquefois ridicules, les « Terroristes » montent la garde, et plus d’un camion, d’une voiture sont arrêtes à coup de fusil de chasse.
A peine les coups sont-ils partis que le boche, s’il se retourne pour riposter, frappe dans le vide les assaillants ont disparu.
L’énervement des nazis, déjà grand, probablement à cause des événements qui tournent mal pour eux, est encore exacerbé par ces mille pointes reçues de toutes parts. et lancées par des combattants invisibles.

Un soir des premiers jours d’août en entend sur la route des camions filer d’un train d’enfer au milieu de la nuit. Il y a accalmie, et à l’aube le défilé recommence.
Mais se ne sont plus les mêmes camions ; ce sont les éléments de la division LECLERC et les armées Américaines.
Ceux-ci, étonnés d’abord. puis réconfortés, voient surgir dans chaque ville des combattants aux uniformes bizarres, allant de la cotte bleue de mécanicien à la tenue de cheval, mais tous porteurs du brassard tricolore qui devait servir à les faire reconnaître comme combattants réguliers.

Des équipes de guides prennent contact avec les avant-gardes qui descendent du Cotentin. Beaucoup sont étonnés de l’attitude impeccablement militaire des officiers porteurs du brassard.
Le malaise qui avait pu naitre de la propagande intense faites autour de ces fameux « Terroristes », espèces de bandit, vivant en « hors la loi », est rapidement dissipé après les premières entre vues entre des hommes qui combattent pour le même idéal.
Très vite les soldats qui portent le « battle dress » ou le blouson kaki, apprennent à connaître et à apprécier les volontaires qui ont pour toute tenue « réglementaire » qu’une chemise déchirée ou un pull-over rapiécé.

Ceux qui d’abord affectèrent de sourire à la vue du vieux « Lefaucheux » qui armait certains d’entre .eux, ne se moquent plus depuis qu’ils savent quelle est la terrible décharge qui attend l’ennemi à chaque fois qu’il se trouve à portée des chevrotines.
Ils savent maintenant que l’homme qui n’a comme arme que ce vieux fusil de chasse et qui ne possède comme ravitaillement en munition que quelques cartouches dans sa poche, a fait montre, en allant au devant d’un ennemi outillé de la façon la plus moderne, d’un courage qui mérite toute l’estime des soldats. Si les entrevues furent quelquefois hésitantes au moment de la rencontre, c’est toujours sur une poignée de main robuste, et un échange de clairs regards, qu’elles se terminèrent.

Les colonnes blindées doivent avec infanterie, poursuivre leur marche vers le but. Celui-ci est connu : c’est Paris.
On n’a pas de temps à perdre.
Les allemands surpris se sauvent dans toutes les directions ; chaque grange, chaque maison isolée, chaque chemin creux, chaque bois touffu peut leur servir d’abri.
D’aucuns sont partis sans rien emporter, la peur aux trousses ; d’autres se sont cachés, armés jusqu’aux dents et prêts à se défendre, capables de toute façon à faire encore du mal.

Et pour permettre aux forces alliées de remplir leurs missions, ce sont les F.F.I. qui vont se charger de « nettoyer » tous les points de résistance.
La chasse commence et le « Résistant » s’y connaît pour se type de chasse ; il a lui-même trop souvent servi de gibier aux limiers de la Gestapo.
Partout une fièvre brulante anime les poursuivants ; chacun son tour !
La pièce de choix reste le S.S. que tous recherchent,, car il donne un éclat particulier au tableau de fin de journée.
En effet le S.S. est un gibier coriace.... Et pire !

Témoin ceux qui, s’étant retranchés dans une grange et ayant été attaqués vigoureusement, se virent contraints de sortir de leur repaire en colonne par un, les bras en l’air, et jugèrent bon avant de se rendre de mettre le feu aux quatre coins de leur abri, causant ainsi, pour le plaisir, la perte de toute la récolte de l’année et la presque totalité des animaux, brulés vifs sans que l’on eût pu les dégager.

A Nantes les F.F.I. libérèrent la ville si rapidement que l’ennemi n’a pas le temps de réagir et n’a que la ressource de se précipiter dans la partie sud, de l’autre coté de la Loire.
Par endroits, certains qui n’ont pu passer le pont de Pirmille, sont faits prisonniers.
Les blindés arrivent ensuite, guidés par les équipes F.F.I. spécialisées.
Un char Américain, au détour d’une rue, se trouve brusquement nez à nez avec un char Tigre, surprise de part et d’autre.
Le « Sherman » réagit le premier et, à bout portant, son coup de 75 stoppe définitivement l’engin ennemi. Selon l’expression imagée du mécanicien du char américain, continuant machinalement de mastiquer son chewing gum : « Le Tigre a eu le hoquet ! »
Pour ceux qui ont déjà vu un char encaisser, à courte distance, un coup direct, cette expression est à retenir car elle traduit très exactement l’impression produite.

Pendant ce temps, on se bat le long de la Loire, mais les bataillons F. F. I. que la veille personne ne connaissait, sont présents, organisés, disciplinés et « à peine armés ».
Les équipes de parachutage sont sur les dents ; presque tous les chefs, se sentant surveillés de trop près, ont pris le maquis.
Les visages sont émaciés mais illuminés d’un large sourire : on va faire payer aux boches quatre années d’oppression.
Dans une ferme perdue du Maine-et-Loire « La Poitevinnière ». à Saint-Sigismond, une demi-douzaine de gars halés, déguenillés, s’activent de travailler sans arrêt.
C’est l’équipage parachuté du Jedburg, image de l’armée qui se bat en Normandie, équipe bien soudée qui accomplit un travail forcené, avale des kilomètres à bicyclette et, pour se reposer. tourne à bras la manivelle du générateur d’électricité qui permet au « piano » de causer avec Londres trois fois par jour. Les derniers ordres sont donnés.
Le « BARBU » convalescent a repris toute son activité ; la liaison avec les éléments avancés américains est réalisée par radio ; chacun reprend soir poste, et les gens stupéfaits aperçoivent les premiers uniformes (un peu râpés souvent), les premières mitraillettes.

Les premiers bataillons se rassemblent d’abord à l’échelon commun c’est la ruée sur l’Allemand : Ancenis, Ingrandes, Béligné, Anetz, Candé, Saint-Mars-la-Jaille, partout on se bat âprement et avec ardeur.
La caserne d’Ancenis, avec son gros stock de matériel, est prise d’assaut par une poignée d’hommes, sous les ordres du COMMANDANT COCHÉ
Des journées de fièvre et de combat commencent ; chacun fait plus que son devoir, les prisonniers s’entassent et les armes passent des mains de l’Allemand aux mains françaises.
Des volontaires tombent, trop nombreux, à leurs postes de combat, mais l’ennemi est bloqué au sud de la Loire.
La petite patrie est enfin libérée.

Au 18 août, le dispositif entier du bataillon est en place, couvrant sur la Loire, face aux boches, de Saint-Georges-sur-Loire au Cellier, sur un front de 40 kilomètres ; accrochages fréquents, tirs de mortiers, à Ingrandes, Anetz, Ancenis, inclusions du 1er bataillon sur la rive sud ; les boches sont harcelés et décrochent au début de septembre, poursuivis par les volontaires qui traversent le fleuve par des moyens de fortune et s’installent de l’autre coté.
Quarante-huit heures après le calme est revenu.

Un matin, la compagnie MAISONEUVE traverse la Loire et attaque l’ennemi dans la partie sud de Nantes.
Puis se sont 2 à 3 autres compagnies qui passent à leur tour et commencent le nettoyage des maisons.
Dans la journée, rien n’est plus impressionnant de se promener dans les rues désertes, entre les maisons qui semblent mortes.
Pas un bruit, rien ne vit, rien, hors les petites patrouilles qui font leur ronde.
A un officier, tard venu dans la résistance, qui demandait au COLONEL KINLEY à quoi servait toutes ces patrouilles et ce qu’on attendait pour prendre possession complète de cette partie de la ville, celui-ci lui répondit simplement d’attendre la nuit.
En effet, tous les soirs, les mêmes phénomènes hallucinants se répétaient brusquement, du dernier étage d’une maison, les coups de feu des armes automatiques retentissaient, les balles ricochaient sur le pavé de la rue, piaulaient d’une façon sinistre.
Un groupe de combat alerté aussitôt. cernait l’immeuble, y pénétrait et, après avoir parcouru une à une toutes les pièces, avoir fouillé tous les recoins, le trouvait vide ; l’opération recommençait de la maison d’en face, de celle d’à coté, d’une autre un peu plus loin.
Il a fallu trois semaines de ces combats harassants contre un ennemi rusé qui savait se cacher, pour gagner rue par rue, maison par maison, toute cette partie sud de la ville.

Les gens qui voyaient passer, revenant du pont de Pirmille, des garçons aux joues creuses, aux vêtements en lambeaux, furent quelquefois tentés de les prendre pour des voyous ; ils n’apprirent que plus tard que la plupart d’entre eux avaient été des héros.
Autour de Saint-Nazaire le boche est encore menaçant, particulièrement dans la région de Blain, où les effectifs américains sont peu importants.
Toutes les compagnies F. F. L disponibles prennent position au sud de la forêt du Gâvre, secteur mouvementé où l’ennemi se montre singulièrement agressif.
Les attaques allemandes sont bloquées, la guerre de position commence monotones, pendant lesquelles les hommes se terrent, creusent des abris, vérifient le fonctionnement de leurs armes automatiques.
De temps en temps, contacts violents ; on se fusille à bout portant, les camarades tombent, mais les prisonniers et les cadavres allemands sont infiniment plus nombreux.
Un matin l’ordre de repos arrive ; joie sur tous les visages.

Hélas ! Après quarante-huit heures passées à 2 ou 3 kilomètres à l’arrière des lignes, on remonte plus au nord dans un secteur plus agité.
Le calme y revient peu de temps après ; patrouille de jour et de nuit à le recherche du Boche, sans beaucoup de résultats ; incursion dans son domaine pour rompre la monotonie de l’existence.
On s’enterre à nouveau des contacts réguliers sont établis avec l’armée américaine ; une franche camaraderie règne ; on parle de l’avenir, les yeux fixés dans la direction de Saint-Nazaire et la côte Atlantique : le grand but à atteindre.

Malheureusement les chars alliés doivent déferler vers Paris, et, malgré les appels réitérés du Commandant de la région, le matériel blindé et l’artillerie indispensable pour gagner la capitale ne peuvent être distraits pour prendre Saint-Nazaire.
Les Allemands formeront une poche qui subsistera longtemps.

Les Français, pour qui la vie a repris, ne doit pas oublier nos volontaires, qui mal armés, vêtus de mauvais uniformes de toile, les pieds dans la boue, trempés jusqu’aux os par les pluies diluviennes d’automne, grelottant dans les neiges d’hiver, tirent comme leurs aïeux du 92 contre un ennemi plus aguerri, supérieur en nombre et en armement.
Quelle sera leur récompense, à ceux, qui, à l’appel du devoir aurons tout sacrifié, situation, femme, enfants, parents ?
Ils ne souhaitent pourtant rien d’autre que de pouvoir reprendre, le fusil au poing, la lutte contre l’ennemi, jusqu’à ce que la France soit entièrement libérée.
Derrière les chefs qui les ont guidés, commandés au cours de la plus pénible des guerres, la guerre de l’ombre, ils sont prêts à marcher au sacrifice suprême pour qu’une nouvelle France, grande, libre, puisse de nouveau être respectée du monde entier, pour que son armée, propre et dynamique, puisse revivre selon les belles traditions et patriotisme de ses aînés.

Enfin, le 3 septembre le COLONEL KINLEY procède avec émotion à la remise du drapeau du 1er bataillon des F.F.I. de Loire-Inférieure, et après avoir à maintes fois serré la main du robuste COMMANDANT COCHÉ dans des circonstances tragiques et graves, et toujours en se cachant, c’est en pleine lumière, ce jour-là, qu’il peut lui donner l’accolade...
Et, se souvenant de l’histoire de la fausse mort du COLONEL KINLEY, le commandant peut penser que ce n’est pas tous les jours que l’on peut recevoir l’accolade d’un homme qui porte son acte de décès dans sa poche !...
Depuis ce 3 septembre, partout, avec des éléments F. F. I. les anciens régiments se reforment.
Les F.F.I. de Bretagne sud travaillent en ce moment à regrouper l’ancien et glorieux régiment nantais le 65e régiment d’infanterie.

(D’après des documents recueillis par le LIEUTENANT-COLONEL KINLEY)

Notes

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